” Je suis Clémentine Deliss. Je suis commissaire d’exposition. Je fais également des publications. Je crée des plate-formes de dialogue entre artistes. Très souvent par rapport à des liaisons potentiels entre des artistes qui habitent dans des lieux et des endroits du monde, qui sont assez loin l’un de l’autre. Et donc en tant que curateur qui a suivi l’éclosion d’un monde de l’art beaucoup plus globalisé. A partir de 1989 , j’ai toujours cherché des façons de mettre en liaison justement des artistes et aussi des écrivains, des collectifs d’une manière très particulière, donc moins pour un grand public et plutôt pour éveiller une curiosité professionnelle entre artistes qui ont à faire avec justement la littérature, qui avait une influence sur les artistes à l’époque. Cette littérature, elle venait en grande partie de l’éthnologie. Elle ne venait pas de l’histoire de l’art comme aujourd’hui, ni de la philosophie. C’était plutôt des ethnologues qui idiosyncrasies. C’est très particulier! C’était beaucoup plus proche des artistes qui m’ont impressionné et c’est pour cette raison que j’ai fait des études d’ethnologie. Je n’avais pas de pays, je n’étais pas sinologue. Je n’aimais pas la Chine plus que l’Afrique, plus que les pays de l’Asie ou l’Inde. Je suis née de mère française et de père autrichien à Londres. Donc pour moi, il n’y avait pas une culture mais plusieurs. Je n’ai jamais eu envie d’avoir un territoire, d’être figé à un lieu, d’être régionaliste, ni vraiment d’être ethnologue. Donc j’ai étudié l’ethnologie à une époque, au début des années 80, ou en fait c’était la discipline la plus élargie, la plus inclusive si on veut. Et aussi la plus autocritique. Mais voilà, donc, comme je n’avais pas de terrain, j’ai joué et je me suis dit que le terrain serait des ethnologues. Et je suis même partie à Paris pour faire des recherches de terrain dans le musée de L’homme et dans la bibliothèque du Musée de L’homme. Et à l’époque, en 1985, quand Michel Leiris, qui a écrit l’Afrique fantôme, qui a fait ce grand voyage tellement important et tellement problématique entre Dakar et Djibouti, avec une bande d’ethnologues , de musiciens , de peintres et de scientifiques pendant deux ans et demi , pour ramasser 3500 objets de l’Afrique pour le musée de L’homme, à l’époque le Musée d’ethnographie du Trocadéro. Donc j’ai fait cette thèse d’Etat. Je suis devenue docteur en philosophie et de théologie, mais tout d’un coup, j’avoue que je n’avais pas envie d’être à l’université. L’ethnologie m’a toujours paru suspecte pour des raisons très divers, et je voulais devenir commissaire. J’étais, c’était clair pour moi que je voulais travailler avec des artistes. Et tout d’un coup, en 89, avec l’ouverture soi disant globalisante de l’art, je me suis retrouvée à écrire des textes qui mettaient en conjonction , qui articulaient des raisonnements entre artistes africains de l’Afrique qui y travaillaient et qui étaient vivants, et des artistes qui travaillaient, qui étaient vivants en Europe. Voilà donc 89. C’est la première fois ou je suis partie en Afrique que j’étais au Ghana, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Sierra Leone. Et voilà! Et deux ans plus tard, en 1992, j’ai fait 20 pays en Afrique et c’est là aussi où je suis venue la première fois à Dakar, à Cracovie, à Bath.
À Londres, il avait décidé de faire une grande exposition qui s’appelle l’art du continent africain. Et il voulait pour la première fois créer une articulation entre l’Afrique du Nord, y compris l’Egypte, et l’Afrique sous subsaharienne, ce qui ne se faisait pas trop à l’époque divisée. Quand on parlait en Europe, on faisait une différence et. À cette époque là, on parle de maintenant de 1991. J’avais observé que ces monde de l’art contemporain européen et américain créaient des expositions, faisaient des publications dans lesquelles ils assumaient et écrivaient qu’il n’y avait pas de critique d’art en Afrique. Je ne vais jamais oublié. Cette phrase que j’ai retrouvé dans ce livre d’une exposition importante… Qui avait comme but de claser les différents mouvements plastiques de l’art plastique en Afrique. Il y avait l’art Internationale qui était à l’Unesco, les artistes qui font des monuments pour l’Unesco, et il y avait un art urbain. Donc c’était des catégories absolument inintéressantes. Voilà, donc j’avais créé un séminaire à l’université , The School of Arts de Londres qui s’appelait Critique d’art africain et c’était très tôt et j’ai fait des dialogues. J’ai collé deux personnes ensemble pour chaque séminaire un critique d’art en Italie avec un critique d’art africain, un artiste africain avec un artiste de la diaspora africaine. Et j’ai “attrapé” tous les artistes qui passaient de l’Afrique en Angleterre. À l’époque, j’étais à Londres et on a fait ce séminaire. Et voilà. Très, très vite, je me suis rendu compte que l’Académie royale allait faire cette exposition mais n’allait pas inclure le XXᵉ siècle. Et je suis allé voir le directeur de l’époque et je lui ai dit que s’ il ne fait pas attention, il allait y avoir des “protest” de démonstrations devant l’Académie. Parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas nier le XXᵉ siècle ni la modernité africaine, au pluriel, les modernités africaines. Et pour cela, j’ai proposé qu’il y ait tous. Il a proposé d’ailleurs de créer un comité de personnes intéressées à promouvoir un festival qui aurait lieu en même temps que le grand projet Africa 95, mais qui viserait justement surtout ce qui était pratique contemporaine en films, en danse, en littérature, en arts plastiques et en musique etc. Le comité était très intéressant. Il ne s’agissait pas juste d’une bande d’hommes blancs comme on pourrait s’imaginer. Il y avait John Afromfah du Ghana. Il y avait la Ghanéenne Margaret Busby. Mais en littérature, il y avait une amie qui gérait le côté africain June Givanni et ainsi de suite. Donc il y avait vraiment un petit groupe très fort qui s’intéressait tous à mobiliser les institutions centrales pas périphériques, les institutions, les galeries, le bar, les salles et les théâtres. Ce symposium a travaillé avec nous pendant deux ans pour préparer ce festival. Voilà pourquoi on m’a envoyé en Afrique parce que j’ai refusé qu’il y ait un thème : “Afrique Mère, mère de nous tous etc… Ce genre de clichés et stéréotypes. Encore une fois sur les arts et l’Afrique. Je suis donc partie à la recherche d’un thème. Je me suis rendu compte très rapidement qu’il y avait énormément d’artistes qui étaient tout à fait au courant de ce qui se passait en Amérique et en Europe. il y avait un éveille au phénomène de l’art contemporain en Afrique. Et puis ils lisaient les textes , les écrits et ils étaient critique souvent. Et ça, ça m’a beaucoup intéressé. Parce que pourquoi changer d’attitude? Quand je suis en Afrique, je suis la même que quand je suis à Berlin et j’ai fait beaucoup de photos. A l’époque, on faisait encore des photos avec des Africains. Un film, ce n’était pas un format digital et je parlais avec beaucoup d’artistes. Et en rentrant, je leur ai dit : “Voilà ! voilà tout le matériel que j’ai ramassé. Par contre, je dois vous dire que le thème principal, c’est la coopération. Les artistes au Ghana ne savent pas ce qui se passe en Côte d’Ivoire ni au Togo. Il faudrait qu’il y ait une coopération. Ils aimeraient des événements, des expositions, des propositions qui les permettent de se connaître. L’un et l’autre. Et ça, ça a été très important et on a tout de suite mis en place un conseil artistique avec Manu Dibango, Youssou N’Dour, Salif Keïta , Nadine Gordimer. Donc vraiment un comité d’artistes très fort. Le projet a été tenu et géré par les artistes. Les institutions britanniques ont pris le pas et parce que justement elles savaient, qu’elles pouvaient élaborer une exposition en deux ans avec un commissaire en Afrique et, ou avec des scientifiques. C’était plustot quand meme des comitiés artistiques, avec des historiens de l’art etc des musiciens, des danseurs. Et ce qui a été très intéressant, c’est que El Hadji Sy nous a permis de faire un avant propos au festival à Londres. En Grande-Bretagne il y avait 60 institutions qui y ont pris part à ce projet. Mais les premiers événements se sont déroulées à Saint-Louis du Sénégal et au Zimbabwe à Harare. Et ça, c’était en avant propos à tout ce qui allait avoir lieu en Angleterre. Ce qui est important, c’est que ça aide à changer l’optique. Voilà. El Hadji Sy et Le groupe Tenq a mis en place un workshop à Saint-Louis du Sénégal, dans le premier lycée français de la côte africaine : le lycée Cheikh Oumar Tall l’ancien lycée Faidherbe qui était justement vide pendant les vacances. Et donc on a pu faire pendant deux ou trois semaines, un workshop avec des artistes nigériens, sud africains, de l’Angleterre diasporique du Sénégal, bien sûr. C’est à ce moment là que le ministre de la Culture , que j’ai beaucoup aimé, avec lequel j’ai eu des discussions, très longues dans son bureau : Abdoulaye Elimane Kane ! C’est à ce moment là que le ministre de la Culture nous a offert le village chinois, près du stade et près de l’aéroport , qui avait été délaissé, complètement abandonné pendant huit ans. Un jour nous sommes partis , Magal Niang et El Hadji Sy, Issa Samb et moi en équipe , chez le ministre et le ministre nous a dit Voilà, vous avez les clés. Allez y, allez voir. On est partis voir et c’était extraordinaire ! Il y avait encore des enseignes en chinois. On ouvrait des cases et il y avait une machine pour créer des briques de construction parce que les Chinois étaient là pour construire le stade et il y avait énormément de plans en chinois que je regrette n’avoir pas gardé. Il y avait une case remplie de ginseng et c’était une brousse ! El Hadji Sy, qui était le chef de Tenq, si on veut, a tout de suite mis une situation en marche parce qu’on avait trois semaines avant l’arrivée des artistes et avant l’ouverture de la Biennale, de 92. Je crois que c’est 94 et on a appris qu’il y avait une association de jeunes de la Patte d’Oie. Ils sont venus, ils sont tous venus, ils ont défriché, ils ont enlevé tous les serpents, tout ce qu’il pouvait y avoir. Et comme il y avait de l’eau mais pas d’électricité, on a mis ça en marche, on a cassé les cases. Les cases étaient très petites, c’était comme des baraques et les baraques étaient coupées en toutes petites cases. Il y avait 500 travailleurs , migrants chinois qui habitaient là. On a cassé les murs entre deux cases pour faire des ateliers et les artistes sont arrivés. C’était extrêmement radical. C’était incroyable ! Je me rappelle très bien un moment où nous avons bien sûr écrit un manifeste, Le Manifeste de Tenq pour ce workshop. Et c’était ça. Oui, voilà. Et je me rappelle que un peu en avant de l’ouverture de la Biennale, un jour , à peu près avant, il y avait déjà des diplomates, des personnes qui voulaient rentrer voir comme ils veulent tous, renifler les ateliers, les artistes etc. El Hadji Sy les a mis dehors, il y avait pas moyen. Il y avait une notion de contre conduite. Tu vois, on faisait la critique à la Biennale tout en faisant un lieu d’accueil pour les artistes. Parce que l’idée, au début, c’était pas pour que les artistes gardent cet emplacement. Absolument pas. C’était plutôt pour faire ce workshop pendant la Biennale ! Après les trois semaines où je ne sais pas un mois , beaucoup d’entres eux sont partis. Ils n’y ont pas vécu, ils avaient tous des leur propre atelier, mais ils ont aimé le village et quelques uns sont restés là. André Diop, je crois, Moussa Tine et bien sûr El hadji Sy y sont restés. Ils ne sont pas restés tout de suite, sont partis. Je pense que c’est au moment où El Hadji Sy qui avait eu un atelier à la Niari Choker et qui a falli être tué parce que le plafond s’est écroulé d’un coup dans son atelier… Il était sorti acheter quelque chose. Il est revenu, il n’avait plus d’atelier. C’est à ce moment là qu’il s’est dit OK, peut être avec les autres, avec Fodé Kamara également, Kane Si, on va reprendre ce village, on va en faire des ateliers et donc ils ont dans un sens skatté. Ce qui est important à savoir, c’est qu’il y a presque une obsession chez les artistes de cette génération. De faire créer une autre situation mais de la nommer avec le nom de la situation antérieure. Donc, comme ils avaient été déguerpis du premier village des arts à la Corniche, qu’ils avaient été brutalement chassé par les militaires en 1983. Eh bien, au lieu de nommer le nouveau village des arts, le nouveau lieu d’atelier , le campement chinois où je voulais l’appeler Forex! Ils l’ont nommé encore une fois le Village des Arts. Et deux ans après, donc peut être entre 1996, et 98, je suis retourner plusieurs fois à Dakar. C’est là aussi que j’ai fait le journal Métronome. J’ai fait un débat avec Codestria et Mamadou Diouf. Mais également, j’ai été deux fois invité par la présidence, ce qui a été pour moi vraiment un grand honneur. La présidence de Abdou Diouf et ensuite de celle de Abdoulaye Wade , pour faire une analyse de ce village et proposer un développement. Mais il s’est avéré qu’il y avait des artistes bureaucrates comme on peut avoir , les organisateurs qui avaient beaucoup d’ambition. Et donc, au lieu de créer un lieu panafricain et international avec des ateliers. Et voilà! euh , dès le début… C’est devenu en fait un lieu d’atelier et les ateliers s’en sont transformés un peu trop, d’après moi, en boîtes à vente. Et les anciens ne n’ont pas quitté le lieu du tout pendant 30 ans ou presque. Et ça a changé le caractère. Mais voila j’étais là tout au début.
De cette génération là, qui ont maintenant 65 ans. Ils ont un peu plus ou un peu moins adorent les mythes. Le musée est dynamique. Moi, j’appelle le musée Dina-mythique. Tu vois, c’est c’est. On parle toujours de l’ancien Village des Arts, de Senghor.. etc.. ils ont un amour pour Senghor, mais aussi une difidence, un recul. Pareil pour tout ce qui est le mythe autour du laboratoire Agit’Art. Donc je pense que c’est clair que quand Abdou Diouf a rendu le musée Dina-mythique en Cour de cassation, qu’il n’a plus vraiment soutenu l’École des Beaux-Arts tout en créant une Biennale des arts … La première était en 1990 mais elle était littéraire. La première des arts plastiques était en 1992. Donc il était quand même en avance comparé à ce qui se passe aujourd’hui. S’il avait eu un bon le ministre, ça allait. Donc, avec Abdoulaye Elimane Kane, on a reçu des fonds. Il a compris le but. Mais plus tard, avec les autres ministres, c’était c’était moins clair et c’était moins évident qu’il y ait des fonds qui aideraient. Pendant longtemps, il n’y avait pas l’Internet… Et puis, petit à petit, ils ont vendu le terrain … Mais il y a une chose qu’ils ont faite au tout début, peut être deux ans après qu’on ait pris le village en marche. C’est Abdou Diouf a rénové le village et c’est là où il a changé l’entrée de la Gallerie qui maintenant qu’il y a un portail arrondi. Mais ça, c’est tout à fait nouveau. Et les couleurs de la peinture qui sont mis au mur. Des cabanes, des cases étaient dans des couleurs pastel comme les couleurs de glace, fraise ou vanille. Des choses comme ça et ça faisait un look très joli, un peu années 1933. Genre campement d’artistes des années 30.
»