Communiqué de presse
Figure majeure d’Afrique de l’Ouest après les indépendances, El Hadji Sy (né en 1954 à Dakar) est présenté à Selebe Yoon, après de longues années de discrétion sur son territoire, alors même qu’il expose dans les plus grandes manifestations internationalestelles que Documenta Kassel (2017) ou la Biennale de Sao Paulo (2015). Après plus de cinquante ans de carrière, témoin d’une société colonisée en transition, acteur d’un modernisme sénégalais naissant, le parcours d’El Hadji Sy est transnational à travers ses voyages en Occident, en Afrique du Sud à l’aune de l’apartheid mais s’inscrit profondément dans sa ville natale, Dakar, qu’il n’a jamais voulu quittée. Artiste peintre, activiste culturel, premier commissaire d’exposition noir à collaborer avec un musée européen dans les années 80, son engagement social et ses initiatives collectives visent tout au long de sa carrière à une émancipation artistique. Cette exposition personnelle réunira les œuvres les plus récentes de l’artiste, des interventions in-situ, des pièces aériennes, ainsi que des archives de la fin du 20ème siècle sur l’artiste et ses différents groupes artistiques, notamment le Laboratoire AGIT’ART, Tenq et Huit Facettes.
“Now / Naaw” – signifient simultanément “maintenant” en anglais et “s’envoler” en Wolof. Peintre avant tout, ses œuvres faites à partir d’une variété de supports et de matériaux tels que des toiles de jutes industrielles, du papier de boucherie ou papier recyclé, du verre, du bois, du goudron, des coquillages, sont de nature performatives. Mobiles telles des accessoires sur scènes, semifonctionnelles, brouillant ainsi les frontières de l’utilitaire et de l’esthétique, ses pièces se métamorphosent en des paravents, des portes, des fenêtres, des cerfs-volants, du mobilier ou des structures itinérantes.
Sa démarche, inscrite dans le politique, se manifeste par une peinture à la fois figurative et abstraite, d’une grande musicalité visuelle où les corps et les formes se soumettent à une ondulation permanente. Qu’il s’agisse d’interprétations poétiques d’événements politiques, de restitutions de scènes quotidiennes du Sénégal, des portraits de figures politiques, intellectuelles, mythologiques ou ordinaires, ou de références à l’urbanisme chaotique dakarois, ses œuvres entremêlent commentaires politico-socio-économiques et réflexions critiques sur les systèmes de production culturelles et mondialisés.
Ses nouvelles peintures conçues tels des assemblages de panneaux et colonnes sur roue à composition variable transforment l’espace d’exposition en un paysage architectural hétéroclite. El Hadji Sy refuse le dictat muséal du « ne pas toucher » qui sanctifie l’œuvre d’art et impose un rapport de distanciation contemplative aux visiteurs. Dans ses expositions, il subvertit l’espace, impose une chorégraphie au visiteur qui doit contourner, traverser, ouvrir ou fermer l’œuvre afin d’y avoir accès.
Naaw (l’envol) symbolise l’action, la liberté et le refus de se laisser paralyser par les institutions et les dogmes sociétaux : position qu’a toujours pris El Hadji Sy. Dès sa sortie des Beaux-Arts de Dakar en 1977, il défie la politique culturelle de l’état et l’idéologie de la négritude; il reçoit néanmoins le soutien et l’admiration du président Léopold Sedar Senghor avec lequel il ne cessera de dialoguer et de se confronter. Dans les années 1970, il marche, piétine, danse et peint pieds nus sur la toile, tel un acte de rupture face à la tradition esthétique des Beaux-Arts. Hors des institutions, il a investit les espaces sociaux, la rue, les hôpitaux et les gares pour engager un public plus large et concilier ses intérêts pour l’éducation, le développement et l’art.
La double signification phonétique de Now / Naaw évoque le principe de glissement et de jeu, cher à l’artiste. L’articulation des genres tels que la musique, le théâtre ou la danse, la simultanéité des sens – le toucher, l’ouïe ou la vue – ou les glissements d’identités sont des stratégies visuelles qu’emploient l’artiste pour enjamber une classification rigide du monde. Au lendemain de l’indépendance, cette conscience pluridisciplinaire tendait à éviter les pièges essentialistes et exotiques d’une “africanité.”
Pour l’autonomie artistique des sénégalais, El Hadji Sy prend l’initiative de la création de complexes d’ateliers tels que le premier Village des Arts de 1977 à 1983 d’où les artistes seront expulsés et renouvelle cette démarche en 1996 dans un campement de travailleurs chinois– l’actuel Village des Arts. Alors que l’exposition contestée «Primitivism in the 20th Century » au MoMA ouvre ses portes en 1984, El Hadji Sy, conçoit cette même année une collection d’art contemporain sénégalais pour le Musée Weltkulturen à Francfort, à l’issue de laquelle sera publié la première anthologie d’art visuel du Sénégal, préfacée par Senghor. Dans cette volonté d’écrire une histoire moderne extra-Occidentale, il est invité par la commissaire d’exposition Clémentine Délisse en tant que co-commissaire de l’exposition historique “Seven Stories about Modern Art in Africa” à la Whitechapel Gallery en 1995 dans le cadre de Africa95. En 2015, une rétrospective majeure Painting, Performance, Politics au Weltkulturen Museum lui est consacrée dans laquelle ses œuvres sont mises en relation avec la collection ethnographique du musée; apportant ainsi une réflexion critique sur la muséologie.
Une existence entre retrait de l’espace public et mobilisation politique, solitude et communautarisme, actes provocateurs et discrétion, le parcours d’El Hadji Sy est pluriel et capital pour l’histoire de l’art du Sénégal et des indépendances. Après plusieurs décennies de travail, un engagement perdure: poétiser et secouer le réel par des réinventions esthétiques.